Loi de cohésion sociale

Où est le projet de société du Plan Borloo ?

Voici six mois, Jean-Louis Borloo présentait un plan de cohésion sociale. Ce plan devait s’attaquer à tout ce qui est porteur de « décomposition sociale ». La loi sur la cohésion sociale qui en est la traduction est loin d’être satisfaisante par rapport aux objectifs affichés. L’ensemble des mesures de cette loi, bâtie sur trois piliers : emploi/formation professionnelle, logement et égalité des chances, forme un plan de 12,8 milliards d’euros sur 5 ans mais dont l’essentiel est différé à 2007-2008...

Cette loi peut être qualifiée d’occasion manquée. Le Premier ministre souhaitait une loi simple, compréhensible pour le citoyen ; elle est longue, complexe, hétéroclite et sous certains aspects notamment l’apprentissage est une marque de l’incohérence et du manque de dialogue social. En introduisant des mesures sur les restructurations, la vision de la cohésion sociale s’en trouve singulièrement altérée. Alors que le chômage augmente, que la pauvreté explose, que les travailleurs pauvres ne peuvent se loger dignement, l’UNSA aurait souhaité que la loi de cohésion sociale soit plus volontariste. Le plan de cohésion sociale était porteur d’un projet de société qu’on ne retrouve pas dans la loi.


Le volet Emploi

Le service public de l’emploi

La loi veut mobiliser pour l’emploi. Pour ce faire, elle engage une réforme du service public de l’emploi en trois points : la fin du monopole de l’ANPE,la création des maisons pour l’emploi, la modification des obligations du chômeur.

- La fin légale du monopole de l’ANPE ne change pas grand chose. Car s’il était bien inscrit dans le code du travail, ce monopole n’existait plus dans la pratique. L’activité de placement reste gratuite pour les demandeurs d’emploi. La question centrale, à laquelle la loi Borloo ne répond pas, est celle posée dans le rapport Marimbert : le service public est-il en mesure de donner le bon service à la bonne personne et au bon moment ? La loi esquive cette question et laisse perdurer l’incapacité de la France à mettre sur pied un véritable service public de l’emploi où travailleraient ensemble les partenaires sociaux et les pouvoirs publics.

- La création ou l’agrément de 300 maisons pour l’emploi est un dispositif intéressant et les premières expériences ont donné des résultats encourageants. Il s’agit de regrouper en un seul lieu des représentants de tous les organismes auxquels le demandeur d’emploi peut avoir besoin de recourir avec un suivi personnalisé. L’UNSA aurait souhaité que la forme juridique retenue pour ces maisons soit le groupement d’intérêt public, ce qui aurait eu pour conséquence d’organiser légalement les partenariats.

- Les obligations des chômeurs sont renforcées. Leurs allocations pourront être réduites ou supprimées s’ils n’acceptent pas une formation ou un emploi qui correspond à leur spécialité ou formation antérieure. Compte tenu des aides à la mobilité que peut leur accorder l’UNEDIC, ces emplois pourront être éloignés de leur domicile. Il n’est pas illégitime de rappeler aux chômeurs qu’ils ont des droits et des devoirs, mais à la condition que les aides et les offres d’emplois soient solides et que les moyens pour appliquer ce dispositif soient dégagés.


Les restructurations

La loi de cohésion sociale s’est « enrichie » d’un volet sur les restructurations. Le nouveau dispositif sur les licenciements collectifs pour motif économique allège les procédures.
Il renvoie les accords de méthode ou les accords du plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) à la négociation, il met en place un congé de conversion et réduit les délais en cas de contentieux.

La procédure d’avant la loi Aubry est rétablie : la consultation du comité d’entreprise dans le cadre du livre 3 et du livre 4 s’effectuera simultanément ; la mise en place d’un PSE ne sera obligatoire que lorsqu’au moins 10 salariés refuseront la modification d’un élément essentiel de leur contrat de travail. Exit la jurisprudence qui imposait le PSE dès l’offre de modification d’un élément substantiel du contrat de travail.
La négociation d’un dispositif de gestion prévisionnelle de l’emploi répond à une revendication de l’UNSA, mais dommage, elle est réservée aux entreprises de plus de 300 salariés et elle n’a lieu obligatoirement que tous les trois ans.

La négociation d’un accord de méthode peut permettre d’éviter des situations trop conflictuelles et instaurer un dialogue qui permette de trouver des solutions innovantes. L’instauration d’un congé de reclassement rejoint les préoccupations de l’UNSA qui préconise la prise en charge du salarié le plus tôt possible après son licenciement pour l’accompagner vers un nouvel emploi. La mise en œuvre parles maisons de l’emploi exigera que les responsabilités et les missions de chacun soient clarifiées.

Enfin, l’UNSA regrette que les délais de recours aient été réduits. L’impossibilité, pour le juge, en cas de nullité du licenciement, de prononcer la réintégration en cas d’absence d’emploi disponible, remet en cause une jurisprudence acquise et permettra la mise en place de PSE a minima.
Ces nouvelles dispositions visent à accompagner les départs et exonèrent les employeurs de leur responsabilité sociale.


Les contrats aidés

La loi Borloo voit aussi le retour des contrats aidés.
La réduction, par le gouvernement, des contrats emploi solidarité (CES), emploi consolidé (CEC) et initiative emploi (CIE) a eu pour conséquence l’augmentation du chômage de longue durée et du renvoi vers l’exclusion de certains chômeurs.
Un contrat d’insertion-revenu minimum d’activité (CI-RMA) est instauré dans le secteur marchand et un contrat d’avenir dans le secteur non marchand, accessibles aux titulaires de minima sociaux (RMI-ASS-Allocation de parent isolé) depuis 6 mois. Cette condition renvoie à une logique d’activation des dépenses dites passives. Nous attendons les décrets d’application pour savoir qui pilotera ces contrats (département, région ou État) et quel sort est réservé à la formation des titulaires de ces contrats.

Le volet Formation professionnelle

Plus d’une trentaine d’articles de la loi Borloo concernent la formation professionnelle des jeunes et leur insertion.

Insertion des jeunes : le CIVIS recentralisé

La politique conduite par le premier gouvernement Raffarin a contribué à la montée du chômage des jeunes. La suppression des emplois jeunes et la mise en extinction du programme TRACE sont autant de mesures qui ont participé à la dégradation de l’emploi des moins qualifiés.
La loi Borloo doit contribuer à inverser la tendance notamment en réformant les contrats jeunes en entreprise, dits contrats Fillon, et en proposant à tous jeunes de 16 à 25 ans, dont la qualification est inférieure ou égale au niveau Bac, la signature avec l’État d’un « Contrat d’insertion dans la vie sociale ». En fait c’est un « boostage » du CIVIS et une recentralisation de sa gestion, car pour réaliser ce remake de TRACE, le gouvernement ne craint pas de se déjuger. C’est la loi de finances 2004 qui a décentralisé l’accompagnement des jeunes aux régions dont le CIVIS. Espérons que cette fois-ci sera la bonne et que tous les auteurs de terrain ne seront pas trop déconcertés par ces brusques volte-face.


L’apprentissage entre démagogie et incohérence

En matière d’apprentissage, la frénésie législative semble la règle. En janvier 2002, la loi de modernisation sociale réorganise le financement de l’apprentissage et la collecte de la taxe du même nom. Le mois suivant, la loi de démocratie de proximité transfère aux régions la gestion de l’indemnité versée aux employeurs d’apprentis. Deux ans plus tard, François Fillon glisse dans la loi du 4 mai 2004 des mesures sur le contrat d’apprentissage et, durant l’été, la loi sur les libertés et les responsabilités locales confie aux régions l’enregistrement de ces contrats. La loi Borloo, combinée au projet de loi de finances 2005, constitue donc la cinquième réforme législative en moins de 36 mois. Mais une fois de plus la cohérence fait défaut. Certes, il n’est pas question de jeter le bébé avec l’eau du bain, certaines mesures recueillent notre accord, notamment le renforcement du contrôle administratif et financier de la taxe d’apprentissage et des collecteurs ainsi que le retour dans le giron de l’État de l’enregistrement des contrats d’apprentissage. Mais c’est pour améliorer véritablement la qualité des formations et surtout la transparence du financement. D’autre part, l’objectif affiché par le gouvernement de porter le nombre d’apprentis à 500 000 est démagogique et contre-productif. Démagogique au regard de la baisse démographique et de la situation dégradée de l’emploi. Où trouvera-t-on les jeunes apprentis et dans quelles entreprises seront-ils embauchés ? Contre-productif car cet objectif ne peut être atteint qu’au détriment des autres voies de formation : les lycées professionnels sur le champ de la formation initiale, les contrats de professionnalisation sur celui de l’insertion.

La concertation en panne

Autre inquiétude, la loi Borloo introduit une recentralisation partielle de la taxe d’apprentissage par la création d’un fonds national de développement et de modernisation de l’apprentissage. L’État pourra ainsi flécher une partie de la taxe redistribuée aux régions tout en diminuant de 198 millions d’euros la dotation décentralisée pour l’apprentissage. À titre compensatoire est créée une taxe additionnelle à la taxe d’apprentissage assortie d’un crédit d’impôt pour faire passer la pilule aux employeurs. Le montant de la nouvelle taxe (0,06 % de la masse salariale) compensera-t-il le désengagement de l’État ?

Enfin, et ce n’est pas le moins inquiétant, l’élaboration de la loi n’a pas été précédée par une véritable concertation des partenaires sociaux et des Régions, ces dernières sont pourtant responsables de l’apprentissage depuis 1983. Le refus du Gouvernement d’installer le nouveau Conseil national de la formation professionnelle tout au long dela vie est significatif de son sens du dialogue social.


Le volet Logement

La loi Borloo aborde cette question sous trois angles :
- le « rattrapage de la construction locative » : 500.000 logements locatifs sociaux seront financés entre 2005 et 2009 ;
- la mobilisation du parc privé : les moyens de l’ANAH (Agence Nationale pour l’Amélioration de l’Habitat) sont renforcés. Une exonération de la taxe sur les revenuslocatifs est mise en place pour inciter à la mise en location des logements vacants. Un dispositif de lutte contre l’habitat indigne sera mis en place ;
- le renforcement de l’accueil et de l’hébergement d’urgence avec une augmentation significative des créations de places en maisons relais et la mise en place d’un critère de priorité pour l’accès au logement social pour les personnes hébergées dans un dispositif d’urgence.
Concernant les loyers,les créances de logement des personnes victimes de surendettement seront réglées prioritairement aux autres.

Or, pour l’heure, seule la dotation budgétaire par l’État pour 2005 semble assurée. Quand on sait que le Plan Borloo représente un effort annuel compris entre 1,5% et 2 % du budget de l’État, c’est considérable et on se pose la question de savoir si ce n’est pas un effet d’annonce spectaculaire et une illusion dans un contexte de pénurie budgétaire. En voulant faire croire que l’on va faire mieux demain avec moins de moyens qu’hier et en transférant sur les collectivités, Jean-Louis Borloo n’a convaincu ni les politiques, ni les syndicats, encore moins l’abbé Pierre et le Dal, pas plus l’UNSA.


Le volet Égalité des chances

Accueil et intégration des personnes issues de l’immigration

L’article 61 de la loi faisant référence au contrat d’accueil et d’intégration (CAI) va dans le bon sens. Cependant, il reste à souligner que rien n’est prévu pour les nouveaux migrants qui ne seront pas touchés par ce dispositif car sa généralisation n’interviendra que dans deux ou trois ans. D’autre part ce dispositif ne doit pas faire oublier les efforts à entreprendre pour réussir l’intégration d’un grand nombre d’étrangers résidant en France depuis des années afin de bien « vivre ensemble » dans un pays qui compte plus de 10 millions de Français d’origine étrangère. Pour l’UNSA, la question de l’intégration demeure un enjeu pour toute la société française et l’actualité quotidienne nefait que confirmer cette nécessité.

Concernant l’article 63 relatif au Fonds de Soutien pour l’Intégration et la lutte contre les discriminations (FASILD), l’UNSA rappelle que ce fonds est engagé depuis des années dans le soutien à l’accueil de nouveaux arrivants. Sa capacité à intégrer les nouvelles dispositions relatives au Contrat d’Accueil et d’Intégration dépend des moyens supplémentaires qui lui seront alloués pour se faire. En effet, il est inconcevable que cet élargissement de ses missions se fasse au détriment des actions conduites jusqu’à présent et qui doivent être poursuivies, notamment celles favorisant l’accès aux droits et celles visant à lutter contre les discriminations. Par contre, le FASILD doit être stabilisé sur le long terme afin que ses partenaires ne soient plus soumis à l’incertitude pesant sur la pérennité de leurs actions dans la mesure où celles-ci ne peuvent s’inscrire que dans la durée. La satisfaction de cette exigence est indispensable pour renforcer la motivation des acteurs de terrain.