Discours de réception prononcé le 28 avril 2016 : Chevalier dans l’ordre de la Légion d’Honneur

Par décret du Président de la République en date du 31 décembre 2015, pris sur le rapport du Premier ministre et des ministres et visé pour son exécution par le grand chancelier de l’ordre national de la Légion d’honneur, vu les déclarations du conseil de l’ordre portant que les présentes promotions et nominations sont faites en conformité des lois, décrets et règlements, sont promus ou nommés pour prendre rang à compter de la date de réception dans leur grade :

Ministère du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

- Au grade de chevalier :

- Mme Noulin (Martine, Françoise, Jeanne), présidente d’une fédération syndicale nationale ; 39 ans de services.

- Décoration remise par Madame Chantal Jourdan, Préfète honoraire, dans les salons du Palais du Luxembourg (Sénat).


Tout d’abord, merci infiniment Chantal d’avoir accepté de me remettre cet insigne et de nous être retrouvées dans cette vivacité de convictions partagées et dans cette fraicheur d’une mémoire intacte, le temps n’ayant pas eu de prise sur cette amitié.

- Ta médaille de chevalier, que je porte ce jour, en est le témoin, qui m’a profondément touchée par la Transmission qu’elle représente.

Bien que la remise d’une légion d’honneur relève d’un genre plutôt convenu, je ne ferai pas mystère de mon intense émotion et de ma grande joie de vous voir tous réunis ici dans ce salon Pourpre du Sénat, institution de la République : famille, amis, syndicat, collègues, chaîne solide de mes rencontres successives et fidèles maillons de mes engagements profonds, sans lesquels je ne serais pas là aujourd’hui en vous associant à cet honneur, qui m’est fait.

Pardonnez-moi de ne pas céder au rituel des titres et autres « hochets » protocolaires, mais soyez surs que chacun d’entre vous, farandole de prénoms encore sage et silencieuse, représente une lumière, qui m’a réconfortée souvent et m’aide toujours à continuer.

En vous souhaitant la bienvenue, je vous dis à toutes et à tous, du fond du cœur, mes remerciements les plus sincères pour être présents et pour faire partie de ma VIE.

Pourquoi cette distinction ? Tentée de la refuser, alors j’ai pensé à vous, les présents comme ceux qui ont disparu, qui avez façonné mon histoire personnelle, fait mon investissement professionnel et militant. Contrairement à ce que semble dire le JO, cette cérémonie, qui nous rassemble, honore une démarche collective, non une aventure solitaire.

Vous avez accepté de me suivre dans mes idées, dans mes projets : j’ai eu votre confiance, amis, collègues, famille, et j’ai pu être votre porte-parole dans mes différentes activités en vous sachant derrière moi avec votre croyance, cadeau merveilleux.

Vous avez également reconnu mon investissement et attachement au service public, que j’essaie de faire vivre dans mes actions, hier dans ma gestion administrative, aujourd’hui dans ma position syndicale, demain dans mes activités d’accompagnement.

Flamboyante Italie et volcanique Auvergne m’ont fait naître et grandir : elles ont rythmé ces 40 années écoulées, passant allègrement des lettres d’Antonin Artaud et des Chants de Maldoror au Conseil National de la Résistance et au statut général des fonctionnaires. Nourrie par Marc Bloch et son « étrange défaite », fascinée par les « Châtiments » de Victor Hugo, adoucie par les larmes fluides de Paul Verlaine, vivante par l’Écriture de Jorge SEMPRUN : vous savez tous que vous n’échappiez ni n’échapperez guère à une citation de ces compagnons de voyage dans mes diverses interventions professionnelle et personnelles

Passionnée d’Histoire depuis toujours, soucieuse de la Transmission, attentive à l’Autre j’ai passionnément aimé mon métier de « grand commis de l’État » malgré certaines tempêtes et peut-être parce que ces bourrasques m’ont appris à grandir encore.

Mais il est vrai que « ce n’est pas le chemin qui est difficile,
c’est le difficile qui est le chemin »
(Søren Kierkegaard).

- Deux hommes, deux prénoms, allaient m’aider à dérouler ce fil d’Ariane et me donner les clés précieuses de mon propre Labyrinthe : leur droiture, leur conviction, leur vision m’ont permis d’avoir une colonne vertébrale solide personnellement et administrativement.

En fait, d’assumer mes refus mais surtout de revendiquer mes adhésions. De croire avec ardeur à ce que je fais, de défendre avec fougue les dossiers et de renoncer rarement.

- François, mon père, trop tôt disparu, dont j’ai le regard bleu, qui passait du plus tendre à l’espiègle avec des éclairs de laser redoutables. Je lui dois ma timidité solitaire et le refuge de la distance face aux événements ;

- Paul Charvet, mon premier chef de bureau, ancien déporté, qui m’a fait confiance immédiatement en valorisant mes compétences inconnues et en détectant mes futurs combats, qui m’a donné sans compter respect, affection et rire pour mieux faire face à cette administration souvent régalienne, parfois kafkaïenne.

Nouvelle venue en 1976 et débutante attachée, je ne savais rien et j’ai tout appris de vous. Mes universités de tolérance et d’humanisme allaient se prolonger tout au long de ce voyage intérieur entre Défense, Intérieur et ministères sociaux.
Il y a quarante ans, je découvrais le Secrétariat d’État aux Anciens Combattants avec le vieux Bercy et son atmosphère frondeuse, le bâtiment de l’Horloge et sa convivialité surréaliste, la cour pavée et toutes ses rumeurs sans parler des bureaux en préfabriqués : je souris en pensant aux déclarations intempestives que cela susciterait de la part de notre actuel CHSCTM ! Aujourd’hui, les allées modernes du MINEFI ne me font jamais rêver puisqu’elles ont enfoui à jamais cet espace réel de Liberté.

Au cours de ces 17 années, j’ai pu ainsi rencontrer, travailler pour et avec des femmes et des hommes, qui à un moment de leur existence furent des acteurs de l’Histoire et qui par leurs actions ont montré que « la seule loi digne de ce nom est celle qui montre le chemin de la Liberté ».

Devenue Administrateur Civil en 1992, ma nouvelle affectation aux ministères sociaux, la Direction des Populations et des Migrations, me révélait un monde tout aussi dur mais encore présent dans l’actualité : l’immigration et ses cohortes de vies brisées, mais aussi ses trafics vils de toute sorte sur des personnes croyant encore à notre triple acclamation républicaine.

Aidée par des collaborateurs généreux et loyaux, j’ai essayé de penser avec Amour et Respect les dossiers pour prendre la décision adéquate.

La cellule de l’asile algérien, « juridiction particulière » de 3 fonctionnaires et sans appel possible, m’a fait passer plus d’une nuit blanche en sachant ce que mon refus signifierait pour le demandeur : je ne souhaiterai guère revivre l’atmosphère suspicieuse qui a présidé nos travaux après l’assassinat des Moines de Tibhirine en 1996.

Mais ma carapace ne s’est pourtant pas fossilisée, même si j’ai pris des bleus à mes croyances administratives suite à cette expérience réaliste dans sa mise en œuvre.

Ma carrière s’est poursuivie par mon retour à la Défense en 1997, qui marque notre rencontre chaleureuse avec Chantal et de nouveaux chantiers à prospecter et à exploiter : la professionnalisation des armées, leur retour à la vie civile et de multiples rencontres avec les chefs d’entreprise.

Étude des bassins d’emploi, valorisation des compétences, déjà le suivi du chômage et des métiers à risque m’ont permis d’allier public/privé, vision stratégique, perspectives économiques et comportement managérial en RH.
Je retrouvais des enjeux similaires à la Direction Général de l’Armement : là je me familiarisais avec le fonctionnement en matriciel, les tableaux de bord, les filières professionnelles et les transformations dues à la réduction de voilure de cette énorme structure : ayant eu en charge le dialogue social avec les personnels civils, notamment les ouvriers des arsenaux, et les instances en découlant !

Appelée par Dominique Lacambre en 2003, je retrouve les ministères sociaux pour prendre un poste RH et dialogue social, plus tumultueux et bruyant dans son expression mais passionnant au demeurant.

Mais, la conjoncture a fortement changé pour la Fonction Publique : elle se réforme à tout va ; l’urgence est devenue la normalité, elle se pare de « vertus », qui ont pour nom « RGPP, DATE, REATE », sans oublier le mode électoral et celui de la représentativité pour nouvelles donnes.

Le ministère n’est pas en reste : fusion des corps, extinction d’autres, GPEC introuvable, réforme de l’IT et son corollaire l’EPIT, baisse des effectifs, objectifs mouvants, dialogue social fantôme, burn-out. Le « Ministère fort » : leurre ou défi sur fond de réforme territoriale !

Un vrai tohubohu ! Qui m’amène en 2007 à prendre définitivement la voie syndicale réformiste comme permanente au ministère du Travail et être élue à la Présidence de la fédération de l’UNSA ITEFA en 2010 avec comme maxime de notre voie médiane pour nos batailles futures et nos engagements ultérieurs

« Ni accompagnement docile, Ni contestation stérile »

Juste un moment je m’attarde sur notre triumvirat sans qui rien ne serait arrivé, notamment plus de 18% de voix en 2014 et la position pour négocier.

Brigitte, DA présente ce soir et comme tous les jours puisque nous travaillons par téléphone.

Michel Zeau, absent ce soir pour raison de santé, cadre de qualité, DT par l’ascenseur social, juriste expérimenté, ayant toujours eu un profond respect, particulièrement à l’égard des femmes. Il me manque ce soir : lui avec qui je partage cette recherche jouissive de la dernière jurisprudence à opposer à l’administration.

Quant à moi, ces 10 ans m’ont vu écrire Déclaration Liminaire sur Déclaration Liminaire, alerter, décrypter, tempêter et toujours repartir en pensant régulièrement à ces mots de Thomas d’Aquin :

« En effet, il est plus beau d’éclairer que de briller seulement ; de même est- il plus beau de transmettre aux autres ce qu’on a contemplé que de contempler seulement »

Ces postes successifs, ces missions multiples, ces fonctions variées ont toutes eu un point commun : m’avoir sortie de mon cocon feutré de cadre pour discriminer la « faille » juridique permettant de proposer une autre solution et de défendre avec pugnacité, très « maternelle » pensent certains, le dossier d’un ancien combattant, d’un « travailleur sans-papier », d’un militaire à repartir vers le civil, d’un agent en but à une promotion ou pire à un harcèlement.

Tentant d’appliquer ces recommandations de Camus « On aide plus un être en lui donnant de lui-même une image favorable qu’en le mettant sans cesse en face de ses défauts », en tant que responsable, gestionnaire comme syndicaliste, je crois pourtant que :

- La tolérance n’est pas synonyme de démission, ni de laxisme ;

- Le courage n’évite pas, ni ne nie la peur ;

- La rébellion ne signifie pas négation, ni destruction ;

- L’humanisme exige négociation avec soi-même et renoncement de l’ego,

- Sans oublier la force extrême du Rire, ultime révolte face à ce Monde déboussolé !

Juste encore un mot, Chantal, toi qui m’a demandé avec espièglerie « façon dernière question « grand oral » « et après tu feras quoi », je t’ai répondu en fille assumée et mutine que je reprendrai l’écriture puisque "Les mots me font l’effet d’un pensionnat de petits garçons que la phrase mène en promenade."’ (Courteline)
Encore de jolies ballades au creux de mes émois de plume et en joyeuse compagnie sur le Dossoduro ou les Zattere (Venise), puisque « La rêverie est la vapeur de la pensée » me murmure Victor Hugo.

Mais surtout je continuerai ce chemin en tentant de suivre cette injonction de René CHAR :

« Hâte-toi.

Hâte-toi de transmettre

Ta part de merveilleux, de rébellion, de bienfaisance

Effectivement tu es en retard sur la vie »

Alors, partons sur la route de mes prochaines années, je n’ai plus guère le temps de flâner, ni de contempler, puisque « Quand je cesserai de m’indigner, j’aurai commencé ma vieillesse » André GIDE.

Cependant, il temps de mettre un terme à ces réflexions pour partager ensemble un moment festif et de pouvoir goûter les aspects terrestres : mes amis je souhaite que nous puissions encore longtemps nous retrouver autour de quelques bulles et nourritures à l’avenant.